Que ce soit pour les sociétés civiles ou pour les sociétés commerciales, la question de la recevabilité de l’action individuelle d’un associé est aujourd’hui largement harmonisée à en lire la jurisprudence récente, où il apparaît clairement que celle-ci ne peut être accueillie dès lors que le préjudice allégué (par l’associé) ne se distingue pas de celui qui atteint la société, en ce qu’il n’est que le corollaire*.
La jurisprudence est en la matière constante : pour être recevable l’action en responsabilité mise en œuvre par l’associé qui s’estime lésé par le dirigeant doit démontrer un préjudice personnel distinct de celui subit par la société.
Si l’existence d’un tel préjudice n’est pas rapportée, la voie de l’action sociale dite action ut singuli ** est alors la seule ouverte à l’effet d’engager la responsabilité des dirigeants.
Tout le problème réside donc dans la détermination d’un critère de distinction entre le préjudice social et le préjudice individuel.
C’est bien ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 22 septembre 2009 en cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Rouen qui avait retenu le droit d’agir en responsabilité des époux X, associés de la société civile immobilière Lévinor, contre M. Y sur le fondement de l’article 1843-5 du Code civil pour accueillir la demande en réparation du préjudice qu’ils considéraient avoir subi du fait de l’insuffisance des bénéfices distribués. (Cass.civ. 3è, 22 septembre 2009)
En l’espèce, le gérant d’une société civile immobilière propriétaire de locaux avait pris l’initiative de résilier amiablement et par anticipation le bail commercial consenti à une société, dans la mesure où il estimait que celle-ci ne disposait plus des moyens nécessaires pour payer à l’avenir ses loyers. Deux époux, associés de la société civile, considérant que le gérant n’avait pas encaissé ni revalorisé tous les loyers revenant à la société, estimèrent qu’il avait ainsi commis une faute de gestion, et agirent en responsabilité à son encontre pour obtenir la réparation de leur préjudice personnel, résultant selon eux, d’une moindre distribution de bénéfices.
La Cour de cassation a néanmoins considéré que la décision de la Cour d’appel violait les articles 1382 et 1843-5 du Code civil au motif que «le préjudice allégué par les époux ne se distinguait pas de celui qui atteignait la société toute entière dont il n’était que le corollaire».
Mais au-delà de « l’extension logique d’une solution classique », selon la doctrine en la matière, et sachant que le droit aux bénéfices est un droit individuel propre à tout associé, se pose la question qui intéresse là encore tous les associés de société, quelle qu’en soit sa nature, civile ou commerciale : quels sont les situations dans lesquelles la jurisprudence a retenu le bien-fondé de l’action individuelle de l’associé qui s’estime personnellement lésé ?
La question n’est pas récente et avait fait l’objet d’un arrêt de principe du 26 novembre 1912 où la Cour de cassation avait notamment eu à s’interroger sur cette distinction entre l’action ut singuli et l’action individuelle, et par voie de conséquence, entre le préjudice social et le préjudice individuel.
Dans cet arrêt, la Cour rappelait que le préjudice subi par la collectivité des associés, en l’espèce des actionnaires, « n’absorbait » pas ipso facto un éventuel préjudice propre à un associé, mais ne donnait pas pour autant une définition de ce préjudice individuel.
Cependant, les décisions qui suivront ne seront pas aussi favorables à l’associé.
Car il faut se rendre à l’évidence, cette question du préjudice individuel de l’associé fait l’objet d’une interprétation restrictive.
Ainsi, la faute éventuelle d’un dirigeant qui a pour conséquence de diminuer la valeur de l’actif social ne peut donner lieu qu’à l’exercice de l’action sociale, le préjudice individuel subi par chacun des associés, résultant de la baisse de la valeur des titres n’étant que le « corollaire » du préjudice subi par la société et donc irrecevable.
Et c’est bien cette solution que la Cour de cassation a retenu dans son arrêt du 22 septembre 2009 mais en l’étendant aujourd’hui aux sociétés civiles.
Ou encore cet autre arrêt de la Cour de cassation du 19 avril 2005 où elle a considéré que le fait pour un associé-gérant égalitaire de provoquer sciemment la ruine de la société afin de reprendre seul l’activité dans une autre structure n’était pas susceptible de causer au coassocié un préjudice personnel distinct du préjudice subi par la société elle-même.
La jurisprudence semble donc particulièrement sévère avec l’associé s’il ne démontre pas un préjudice distinct de celui de la société.
En fait, comme le relève la doctrine en la matière, la jurisprudence s’attache en aucune façon au lien de causalité entre la faute du dirigeant et le préjudice de l’associé, mais insiste sur la seule « inexistence » d’un préjudice individuel.
Ainsi, parmi les quelques cas de préjudice individuel retenus, on citera celui subi du fait de la rétention d’informations par les dirigeants ou du détournement de dividendes votés en assemblée générale.
Autrement dit, cela abouti pour l’associé victime du comportement fautif des dirigeants à voir quasiment jamais son préjudice admis et donc réparé s’il est considéré qu’il découle du préjudice d’ores et déjà subi par la société du fait de ces fautes de gestion.
Néanmoins, faut-il voir une lueur d’amélioration de leur sort au regard de cet autre arrêt du même jour et de la même Chambre de la Cour de Cassation qui a annulé l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence au motif qu’elle aurait dû examiner la recevabilité de la demande de l’associé au regard du préjudice moral !
*Proposition qui découle d’une première qui a déjà été démontrée
** action menée par les associés au bénéfice de la société lésée par les fautes de ses dirigeants
Références:
Cour de cassation , chambre civile 3 , Audience publique du mardi 22 septembre 2009
N° de pourvoi: 08-18785
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